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Mise aux vers en « zone rouge » > COTONOU (BÉNIN)

Mars 2013. UNE ESCAPADE AU BÉNIN DANS LE CADRE DU PRINTEMPS DES POÈTES ET DU MOIS DE LA FRANCOPHONIE.

 

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INTERVIEW DE YOUN POUR LE BLOG DE LA FRANCOSPHÈRE.

 Par Jessica Oublie, chargée de mission francophonie-Ambassade de France-Cotonou-Bénin

Vous étiez au Bénin dans le cadre du Printemps des poètes et avez animé des rencontres autour de la thématique « Donnez de la voix au poème Â». De quoi s’agissait-il exactement ? Comment avez-vous élaboré le programme de cette résidence ?

AU DÉTOUR DE BABEL propose des actions plurielles autour de la langue dans des endroits aussi différents que possibles. Thiphaine Benoit fut président du collectif durant 2 ans avant de se rendre au Bénin. Toujours impliqué dans cette association, il a alors eu l’envie de mettre en place une action de ce type dans son nouveau pays d’accueil en créant un pont avec la France. Ainsi Da Gobleen et moi-même, auteurs-diseurs-performeurs et membres du collectif, avons été sollicités afin d’organiser cet évènement en collaboration étroite.

Nous sommes donc intervenus, en ce sens, au sein de plusieurs structures et auprès de divers publics, afin de partager un goût du verbe, un goût pour l’oralité et la poésie, cette dernière qui nous anime, nous habite et nous nourrit. L’idée était de créer des ponts, autant que faire se peut, avec des acteurs béninois (artistes, musiciens, slameurs, diseurs, rappeurs, plasticiens…) dans un but d’échange et de rencontre, de croisement des pratiques, des cultures, des genres et des sensibilités.

Des performances et rencontres créatives ont ainsi eu lieu à la prison civile de Cotonou, au collège de Dantokpa, au cÅ“ur de la ville place de devant-institut-français-cotonouBulgarie, et à l’Institut Français où une création multi-focus, de type spoken-word, s’est mise en place en parallèle. A noter également la projection à l’IFB et place de Bulgarie du documentaire « Histoire de dires » que j’ai co-réalisé il y a quelques années de ça. C’est un film qui aborde le slam et évoque par-delà les écoles et courants, les bienfaits qu’il y a à partager la parole, à vivre et vibrer ensemble – ou comment « rexister » dans un monde où l’on communique toujours plus et où l’on se rencontre de moins en moins.

A l’occasion de ce séjour, vous avez également travaillé avec certains acteurs de la scène slam du pays. Avez-vous remarqué des particularités et/ou similitudes dans vos écritures et les thématiques que vous abordées ?

Nous avions, en effet, très peu de temps pour ficeler un spectacle avec les diseurs-slameurs-rappeurs béninois, que sont Sergent Markus et Kmal. Il a ainsi fallu amorcer cette création en amont sans avoir eu l’occasion de se rencontrer, hormis quelques échanges par voie de mails. Après avoir survolé des vidéos afin de nous faire une idée quant à la teneur de leurs textes et autres préoccupations, nous avons commencé à imaginer, Da Gobleen et moi-même, une trame qui pouvait nous permettre d’articuler nos langues.

Symphonetik

C’est sur cette base que nous avons impulsé la mise en place du spectacle intitulé [symphonetik], comme une pièce à 4 voix et en 4 mouvements, avec 4 visions à la fois singulières et complémentaires sur ce monde globalisé, ce qu’il a de bon et les dérives qui en découlent, un monde pluriel et complexe dans lequel chacun cherche sa place.

tee-shirt-Jean-Lou et Nicodème

Peut-on selon vous parler d’un slam francophone ou avez-vous constaté depuis vos débuts des évolutions de la langue liées à des facteurs culturels ?

Pour moi, le slam est avant toute chose une scène ouverte, une tribune de libre expression où tout un chacun peut venir se dire et écouter l’autre. Contrairement aux idées reçues il ne s’agit en aucune manière d’un genre ou d’une esthétique, sinon d’un terrain d’expression. Une scène slam permet la réunion d’individus divers en un même lieu, sur un temps donné, au sein d’un dispositif épuré, lequel permet l’expression libre quelque-soit la langue utilisée, les thèmes abordés et la façon dont ils le sont. Il s’agit donc d’un spectacle vivant et Dantokpa-photo de classemouvant, émouvant parfois, où l’individu renvoie au collectif et inversement.

Je ne peux dire si la langue évolue sur les scènes slam, j’ai pour ma part l’impression d’être inondé de signaux, matraqué de formules, saturé de slogans, le plus souvent médiatiques et télévisuels, lesquels cherchent à nous vendre des objets, des idées, etc. Le dispositif gratuit et libre d’accès de la scène slam (qui soit dit en passant n’est pas le seul !) permet de se réapproprier les outils de la langue, de la réinventer, et ainsi dire le monde avec ses propre mots, de le penser et par-dessus tout d’exister en tant qu’individu singulier au sein du collectif. Il y a autant de performances slam possibles qu’il y a d’individus (même si des préoccupations, des approches de l’écriture, des gestuelles, se recoupent). Le champ des possibles est donc des plus vastes et la définition d’un « genre slam Â» impossible par essence.

En ce sens, je ne sais donc pas si l’on peut parler de « slam francophone ». Certaines personnes s’attachent plus au son, d’autres au sens, au rythme, sans oublier tout ce qui passe par le corps lorsque celui-ci porte le texte. Il peut y avoir des slameurs à l’énergie débordante et communicative qui percutent sur scène alors qu’ils ne racontent pas grand chose. À contrario, il y a des textes riches, précis et fouillés, incarnés par des corps statiques et des voix monocordes qui peuvent laisser un auditoire de marbre. Par ailleurs, une personne toute fragile et intimidée qui se lance sur scène va créer de l’empathie, l’auditoire ayant envie que la personne accouche de son texte. C’est ce dernier point que je trouve le plus fort et sur lequel j’aime à m’attarder : la bienveillance des uns envers les autres qui se dégage d’une scène slam, véritable terrain social avant même d’être un terrain artistique.

Vos ateliers à destination du jeune public ont été très plébiscités. Quelle était la visée pédagogique de ceux-ci? Quelle est la réaction ou remarque la plus surprenante que vous ayez entendue d’un participant ?

CEG-Dantokpa2Loin d’une approche pédagogique à proprement parler, il s’agissait plus d’interventions en tant qu’artistes afin de partager un Dantokpa 1goût du verbe avec des performances déclamatoires poétiques en guise d’ouverture pour ouvrir ensuite sur une dimension interactive à laquelle on tenait beaucoup, afin que chacun puisse goûter aux bienfaits qu’il y a à se dire et à s’écouter. Nous sommes ainsi intervenus à l’école en plein cœur du marché de Dantokpa avec des élèves, professeurs, censeur, surveillants ultra-motivés et, tous autant qu’ils furent, ravis de jouer le jeu. Un moment haut en couleurs avec une émulation palpable et exponentielle au fil de la matinée.

Il y a eu également une rencontre ouverte à qui le souhaitait, à l’IFB, avec un joli groupe assez diversifié qui s’est également pris au jeu. A cette occasion, le doyen du groupe présent, ancien professeur et actuellement examinateur de français (si ma mémoire est bonne), a rebondi ayant été choqué par cette remarque que j’ai l’habitude de faire aux différents publics que je croise : « Ne vous souciez pas de l’orthographe, ce que vous écrivez doit l’être d’abord dans le but d’être oralis酠». Je fais cette remarque quasi-systématiquement afin de permettre aux participants de se débrider, de se décomplexer  face à l’appréhension castratrice qu’il peut y avoir par rapport au fait de faire des fautes. Cet homme m’a très justement repris et nous avons échangé avec le groupe en fin de séance sur ce point qui semble marquer une différence d’approche culturelle quant à l’utilisation de la langue. Après quelques jours en immersion, l’approche singulière de la langue à la sauce béninoise (du moins ceux rencontrés) m’a sauté aux yeux : il y a une recherche du mot juste, un souci du sens et du détail, également un attachement à l’écriture qui se doit d’être belle et précise.  La photo ci-dessous est parlante !

CEG-Dantokpa-slam

Le Bénin, comme de nombreux pays africains, possède une grande culture de l’oralité. Quel a été le principal enseignement de vos homologues béninois dans ce domaine ?

Très paradoxalement peut-être, je n’ai pas vu cet aspect le long de mon séjour, sinon un goût des mots prononcé, pour ce qui Dantokpa 4est des slameurs impliqués dans l’évènement. J’ai un certain nombre d’amis sénégalais, maliens, burkinabés, en France, et ma vision de l’Afrique était de fait un peu biaisée. Le Bénin se situant en Afrique de l’ouest, je m’attendais en effet à y rencontrer des conteurs, des griots, à découvrir des instruments traditionnels mélodiques, etc. Tout cela est visiblement plus présent dans les pays du mandingue. J’ai eu de nombreuses discussions au sujet du Bénin et de ses spécificités qui seraient très liées à la religion endogène qu’est le vodoun.  Marcel Padey, avec qui on  a eu le plaisir et l’honneur de partager la scène, m’a dit regretter le peu d’intérêt porté à la fois par les béninois et par les instances politiques en matière de musique traditionnelle et de recherche en la matière.

Par ailleurs, une différence culturelle frappante : le rapport au corps et à la scène est beaucoup moins complexé qu’en France ; J’ai ainsi vu des tout-petits se frotter à la scène avec une verve acerbe et un sens du show aiguisé.

ouidah-enfants

Après une semaine de résidence, quelle(s) connexion(s) estimez-vous avoir mis en place avec la scène slam du Bénin ? Des projets de collaboration sont-ils en cours de réflexion ?

Il y a eu de très belles rencontres, à la fois humaines et artistiques. Il a été question d’enregistrer des morceaux en studio avec Marcel Padey, avec Sergent Markus ou encore Séminvo, l’enfant noir, ce qui n’était pas réalisable au vu du temps imparti. C’est donc à distance que ces combinaisons pourraient avoir lieu dans un avenir proche. Il est par ailleurs question que Marcel et Sergent fassent un tour en France, auquel cas nous organiserons des choses afin de les recevoir dans de belles conditions, et ainsi poursuivre l’aventure amorcée à Cotonou.

Marcel-timboÀ titre anecdotique, j’ai par ailleurs acheté un instrument à Marcel, le tim’bo, afin d’associer cette sonorité au son cristallin de la kora.

Un des objectifs de Au détour de Babel est donc de porter des actions plurielles autour de la langue esthétisée et de permettre la rencontre des gens et des genres. L’aventure au Bénin est un premier pas en Afrique, un joli premier pas. Peut-être irons-nous d’ici peu chez le voisin togolais  ce qui permettrait de recroiser les amis béninois, de s’associer aux amis togolais croisés sur l’évènement (Efy et sa clique), et de créer d’autres ponts. Pourquoi pas revenir au Bénin pour  présenter la nouvelle création au détour de Babel et ainsi jouer le tim’bo en duo avec Marcel Padey ?!

Une spéciale dédicace de fin pour nos blogeurs aux couleurs de votre séjour au Bénin ?

Mon retour à chaud, le yovo a froid !

photo de groupe camarades dernier jour copie

PS : J’ai été au Bénin… ça n’est pas grave ! Sinon gravé !

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